Bidalinouette Admin
Age : 47 Localisation : Stembert, Belgique Végétarien? Végétalien? Végan? Omnivore? : Vegan Vos animaux : Grisou, Kumquat, Savannah, Noursonne, Eden, Roméo, Foly et les 3 bb les pouics, Noisette la pinou Humeur : Sauveuse de ptit pouics et autres Emploi/loisirs : Cherche un emploi Nombre de messages : 3793 Date d'inscription : 05/10/2008
| Sujet: Une Mangouste à Bruxelles L'histoire de Shakti Lun 18 Jan 2010 - 15:39 | |
| Le soleil qui vous chauffe le dos... Qui d'entre nous, singe, dauphin ou mangouste, n'apprécie pas cette délicieuse sensation ? Afrique, 1997
Quelque part dans la forêt humide de l'Afrique centrale, entre le Cameroun, le Congo et la Sierra Leone, une petite tribu de mangues brunes parcourt son territoire à toute allure. Le mâle et sa femelle dominante mènent la course et l'on se presse entre les lianes et les mousses dégoulinantes d'eau vers le refuge des terriers. La petite Shakti suit sa mère : elle tète encore à l'occasion, son sevrage vient juste de commencer. Le groupe échange mille petits cris, vocabulaire pointu qui transmet sous forme codée toute une série d'informations précieuses quant à la route à suivre et aux dangers qui menacent. Tout à coup, des cris, des coups de feu, des chiens qui aboient : les chasseurs arrivent sans crier gare et massacrent tout le clan de mangoustes éperdues. Seul reste sur le carreau un petit jeune abandonné, qui piaille dans la boue. Les cadavres fumés des adultes deviendront de la "bush meat", offerte - dit-on - sous les étals discrets du quartier Matongé à Bruxelles. Quant au dernier bébé survivant, eh bien, il y a de là quoi faire quelques dollars auprès d'un trafiquant d'animaux exotiques, comme il en rôde tant dans la région. On ramasse l'animal et on le jette dans une caisse. Il sera vendu sur un marché d'Abidjan dans une petite cage en osier puis expédié vers l'Europe par quelque grossiste en promenade. Bruxelles, fin 1997
Transportée par avion dans sa caisse étouffante, Shakti réussit le tour de force d'arriver vivante en Belgique. Quels chemins a-t-elle parcouru ? Quelles souffrances a-t-elle endurée ? Nul ne le saura jamais. On la livre au magasin Animal Express, où d'autres animaux exotiques s'entassent dans des cages, souvent en violation des règlements de la CITES. Nombreux aussi sont les captifs présents dans les cages qui attrapent la maladie de Carré ou qui souffrent d'autres affections. Enfermée dans un terrarium minuscule, sous la lumière d'une ampoule nue, notre mangue brune attend la mort en courant en tous sens, totalement terrifiée...Et ce soir-là, précisément, revenant de la Mer du Nord, je passe par là un peu par hasard. Les lumières de la grande surface brillent dans la nuit, une activité intense semble se poursuivre malgré l'heure déjà tardive et je me dis qu'il serait intéressant de voir ce qui se passe dans cet endroit et de vérifier un peu si les lois relatives à la protection animale sont bien respectées dans ce pays. C'est un hobby, un réflexe de journaliste, à une époque où la Presse ne se presse pas de parler de ce genre de choses.
La promenade commence : chiens, chats, rats, oiseaux, animaux de toute origine attendent patiemment dans leurs cages minuscules que l'un ou l'autre de ces pères de familles ventripotents, affligées de leur marmaille, se décident si oui ou non, ce genre de bestiole conviendrait pour l'anniversaire de Bobonne .... Les espèces exotiques se succèdent et soudain, au bout d'un long couloir, Shakti surgit sous mes yeux. Une mangouste dans un terrarium ! Cet animal n'a même pas de cachette, même pas d'abri sombre où se réfugier et c'est pour elle aussi fondamental que pour un oiseau un espace pour voler. "Hide and Run" pourrait être la devise de toutes les mangoustes du monde, courir et se cacher, se cacher et courir...! En pleine lumière sur du gravier, avec quelques croquettes pour chat jetées dans un bol, elle tourne, éperdument, elle tourne jusqu'à en mourir. Malheur à moi, je croise son regard. Je reste trop longtemps devant cette vitrine. Allons ! Pas d'états d'âme !. Il y a d'autres animaux exotiques ici et tous sont certainement aussi à plaindre qu'elle... Mais ce regard !
|
Que faire ? Impossible de faire du scandale : la mangouste n'est pas protégée de manière particulière et ne figure pas jusqu'à présent sur la Liste Rouge IUCN des animaux gravement menacés de disparition. Animal Express peut donc en vendre en toute quiétude : ils sont dans la légalité !
L'acheter ? Le vendeur en commandera aussitôt une nouvelle, puisque ça marche. Mon geste équivaut donc à encourager le trafic scandaleux de ces "nouveaux animaux de compagnie" exotiques et à contribuer au dépeuplement des populations d'origine.
Ne pas l'acheter, par contre, équivaut à laisser s'éteindre de façon lamentable cette innocente petite conscience, cet individualité précise, cette "petite personne à fourrure" comme disent les Bochimans, dans toute la singularité de son histoire et dont le comportement indiquait très clairement la plus totale détresse. Pour elle, ce ne serait sans doute qu'une question de jours avant qu'on ne la jette, boule de poils refroidie, dans une poubelle du grand magasin. | Je l'achète donc, choisissant une fois de plus de sauver l'individu plutôt que toute l'espèce. Ce qui est, je le concède, est peut-être un choix malheureux mais que je regrette d'autant moins qu'il m'a permis de prendre toute la mesure du problème ! Il doit s'agir ici d'un animal capturé récemment et donc sauvage et même dangereux. J'ignore tout des mangoustes captives, de ce qu'elle va pouvoir manger. Où va-t-elle faire ses besoins ? Où va-t-elle dormir ? Aucune information ne m'a été fournie par le vendeur, sans doute aussi ignorant que moi.
Arrivée à demeure, son premier réflexe est de se cacher sous les meubles pendant de longs mois, à renverser tous les pots de fleurs, à mordre férocement tout quiconque l'approcherait et à forer frénétiquement des trous dans mes matelas...
Bruxelles, 2000 Aujourd'hui, Shakti va bien ! "Relativement" apprivoisée - n'espérons jamais d'elle qu'elle obéisse à quiconque ! - Shakti est aujourd'hui devenue très familière. Son poil est beau, ébouriffé, luisant, son oeil tout noir et très vif. Elle accueille les visiteurs en pépiant de joie, elle leur saute sur les genoux, visite leurs sacs à mains et leurs poches et adore se trouver en présence de chats ou de petits chiens, qu'elle ne craint pas du tout mais qu'au contraire, elle poursuit par jeu. Les autres animaux sont souvent interloqués par ce comparse velu et minuscule qui leur file entre les pattes ! Elle dispose désormais d'un beau et grand jardin - selon ses critères de taille ! - de soleil, de vers de terre, de grosses bûches à gratter et de gazon odorant.... Pas toujours facile de la convaincre d'y aller, cependant : sa maman n'a pas eu le temps de lui apprendre à creuser la terre pour trouver des insectes. Ce sera donc à moi qu'i reviendra de le lui apprendre !
Durga, la petite chatte rayée, est sa nouvelle amie, ainsi que ses copains chats qui viennent lui rendre visite. Depuis l'incontournable ablation des ovaires que Shakti a du subir récemment pour ne pas mourir de septicémie - les grossesses nerveuses sont fréquentes chez les vivérridés captifs - on sent que la vie de notre mangouste s'équilibre peu à peu, dans un contexte pleinement artificiel, certes, mais auquel elle s'est faite et où elle se sent bien. Bien sûr, sa vie n'est pas une vraie vie de mangouste et sans doute, ce qui lui manque, ce sont des compagnons de sa propre espèce. Mais les chats font de leur mieux...
Lorsqu'elle est sortie dans un jardin la première fois, des merles sont venus se poser près d'elle, d'autres oiseaux, des pigeons, pour voir de quelle étrange bestiole il pouvait bien s'agir !
Extrêmement affectueuse, Shakti dispose aussi d'une vive intelligence et d'un expressivité tout à fait singulière. Elle "parle" à l'aide de dizaines de petites vocalisations différentes, scande ses déplacements en grognant de manière rythmique et peut parfois pousser des cris rauques d'une grande puissance, tout à fait surprenants.
Son comportement oscille entre celui d'un chien et celui d'un chat, puisqu'elle est l'ancêtre commun, de forme très archaïque, de ces deux espèces. Shakti est à l'image même des tout premiers mammifères, ceux qui couraient entre les pattes des dinosaures. A l'époque, sa forme était déjà si parfaite pour la forêt pluvieuse, que comme le requin, elle n'en plus jamais changé depuis lors.
Lorsqu'elle joue, ce n'est nullement à la manière d'un félin ou d'un canidé : elle gratte, se cache, attrape et tire vers elle des objets qu'on lui glisse et n'aime rien tant que de fouiller boîtes et armoires ou mieux encore, une grosse bûche pourrie. Les jeux de cache-cache et de poursuite - avec gratouilles et chatouilles finales qui la font rire avec un bruit de crécelle inimitable- sont également très appréciés. Le soir, elle se tient sous le divan du salon, puis dans sa grande armoire, où elle a son petit nid de tissu en boule qu'elle aménage à sa guise selon la température. Et chaque matin, ce sont les mêmes retrouvailles, les grands câlins, le petit déjeuner de vers de farine bien juteux et croquants et les poursuites pour rire avec la chatte Durga. Durga fait de son mieux ! Bruxelles, 2002 Shakti va toujours bien et même de mieux en mieux !
Ainsi que l'attestent les photos ci-contre, notre bonne Shakti prend un peu d'embonpoint. Elle est un peu moins excitée et elle dort plus qu'auparavant. Shakti n'est sans doute pas aussi pleinement épanouie qu'elle pourrait l'être en compagnie d'autres mangoustes mais franchement, à la voir, on comprend qu'elle n'est pas malheureuse et qu'elle s'est finalement intégrée à son étrange existence en Occident...
| | |
Parfois, sans crier gare, elle nous révèle encore des compétences cachées étonnantes, dont on ne la savait pas capable. L'autre jour, c'était en un chaud mois d'août 2002, Shakti repose paisiblement au soleil, comme à son habitude. Une guêpe survient tout à coup, irritante, qui rôde tout autour d'elle.
Alors, d'un seul coup de dent, d'un seul, voilà notre Shakti qui fauche l'insecte au vol à la vitesse de l'éclair et le colle au sol devant elle, sur le carrelage de la terrasse. La guêpe vrombit : elle est vivante. Son dard s'agite, mortel dans une gorge de mammifère.
Et pourtant, Shakti la mange. Froidement, en commençant par les ailes et le dos, comme on déguste un serpent chez d'autres mangoustes...
| Elle dévore aussi sans frémir des limaces, des cloportes et des perce-oreilles ou mieux encore des lombrics, qu'elle extrait du sol à longs coups de tête redressée. Et c'est un pur bonheur que de la voir "chasser" de cette manière, le nez fourré profond dans la mousse, car elle agit enfin comme une vraie mangouste ! Avril 2004 Et comment va Shakti ? <blockquote> Mais bien ! Très bien même, comme l'atteste cette toute récente photo de notre amie surprise en pleine chasse au lombric féroce et datée d'avril 2004. La vie est devenue pour elle un tissu de petites habitudes, de rituels joyeux et quotidiens, en compagnie de ses chers amis humains et félidés, sans angoisse, sans tristesse, un chapelet de petits bonheurs et nombre d'entre nous pourraient lui envier son bonheur équanime : chaque jour qui se lève est une fête pour elle, vécue dans la bonne humeur et l'amitié.
Même si aujourd'hui, son rythme vital se ralentit clairement (elle dort énormément, court moins vite qu'autrefois et ne grimpe plus le long des tuyauteries comme au temps de sa folle jeunesse!), sa santé est parfaite, son poil luisant quoique de plus en plus ébouriffé, et son oeil aussi vif que par le passé. Sa gentillesse et son humour n'ont quant à eux cessé de s'accroître de manière exponentielle. Comme tous les non-humains qui commencent à vieillir, Shakti est devenue une perfection de mangouste amicale. Il n'est pas un visiteur qui ne craque instantanément lorsqu'elle vient se lover sur ses chaussures ou lui donner des bizous du bout de son museau pointu. </blockquote> Quelques notes rapidement dessinées dans un carnet à propos de Shakti <blockquote> Par ailleurs et plus que jamais peut-être, l'observation attentive des comportements et des vocalisations complexes de cette petite mangouste kidnappée en Sierra Leone reste une source d'étonnements et de découvertes, car son découpage de la Réalité est très différent du nôtre.
Le singe hominidé, qu'il soit Humain ou Chimpanzé, est d'abord un animal fait pour vivre dans les arbres : sa vision binoculaire en couleurs et en relief lui permet de sauter de branche en branche et de choisir les bons fruits selon leur aspect. De son côté, le cétacé s'est adapté à vivre dans un monde marin entièrement sombre et donc acoustique, tandis que le félin et le canidé ont développé l'agression et la violence comme moyen de survie. La mangouste, petit omnivore tapi dans les broussailles, a choisi pour sa part l'odorat, la course, la vigilance et la fuite vers la bonne cachette comme les principaux éléments fondateurs du monde.
Mais au-delà de ces différences, que nous soyons singes, éléphants, dauphins, mangoustes, félins ou canidés, nous obéissons tous aux mêmes contraintes biologiques, aux mêmes mécanismes cognitifs et émotionnels fondamentaux. Nous aimons nos enfants et nous leur transmettons nos cultures, nous sommes tristes, joyeux, jaloux, dépités ou fâchés tous de la même manière. En tant que mammifères, en tant qu'êtres vivants, nous partageons tous des valeurs communes et c'est là que le monde prodigieux des relations inter-espèces se déploie devant nous comme une extension supplémentaire de notre intelligence et de nos valeurs morales.
Pour moi, Grand Singe Tueur des Savanes, ultime surgeon de l'arboricole Homo Habilis et duféroce Homo Erectus, la petite vivérridée qu'estShakti, au lieu d'être une proie, est devenue au contraire une véritable amie, une personne proche que j'aime comme je peux aimer les humains. Je ne suis d'ailleurs pas peu fier de l'avoir conduite, année après année, vers cet état de bien-être et de stabilité heureuse qui est le sien aujourd'hui. La chose n'était pas gagnée d'avance, comme a pu le lire plus haut, car une mangouste n'est pas un animal de compagnie convenable ni certainement facile. Sa place n'est pas dans les salons mais dans la forêt pluvieuse pour laquelle son corps et son âme ont été balisés. Et pourtant, Shakti n'est pas morte dans son aquarium d'Animal Express et aujourd'hui encore, elle prend du bon temps. Que pourrait-on espérer de mieux en de telles circonstances ? Si ce n'est qu'elle vive longtemps encore, au-delà des neuf ou dix ans fatidiques que lui assigne la Science ?
Ci-dessous, quelques images rares de Shakti... </blockquote>
Shiva & Shakti |
Shiva & Shakti Tout au début, Shakti vivait en appartement, à Forest (Bruxelles) |
Elle disposait d'un bac plein de terre et de bûches pourries, mais pas de jardin.. |
Elle avait aussi sa propre chambre ! |
Ici, à Schaerbeek, avec son principal jouet : un petit poisson en peluche au bout d'un ficelle qu'elle attrape et tente de déchiqueter avec un bel enthousiasme |
Par un étrange retournement de valeurs, Shakti en est venue à considérer les Humains comme des "mangoustes géantes" dont elle recherche activement le contact... | Faut-il encore songer à la libérer ?
Même si, à l'origine, cette page Web était avant tout destinée à lancer un appel en vue de la réhabilitation de Shakti, mieux vaut sans doute oublier une telle option aujourd'hui. Après bientôt cinq ans de vie commune en compagnie des humains - et des chats ! - le psychisme de Shakti s'est radicalement altéré. A la manière des dauphins captifs, elle a mélangé son esprit aux nôtres et ne fonctionne plus vraiment comme une mangouste authentique.
Relâchée en pleine nature, elle serait bien incapable de chasser ou de trouver les vers qu'il faut, elle s'approcherait immédiatement de tout humain, même si c'est un chasseur et il n'est pas certain que les autres mangoustes pourraient encore l'accepter parmi elles, tant son comportement s'est transformé dès l'enfance. Il est clair qu'en dépit de sa situation positive actuelle, cette mangue brune n'aurait du quitter sa forêt ni les siens.
Jamais elle n'aurait du être forcée de s'adapter à la vie citadine. Car si les mangoustes ne sont pas encore une espèce gravement menacée (elles ne figurent qu'en Annexe II de la Cites), il n'empêche que leur usage commercial n'a aucune raison d'être et qu'il déstabilise gravement les populations naturelles, ainsi que nous le rappelait récemment un reportage du Jardin Extraordinaire (RTBF) sur les mangoustes indiennes importées en Hawaï. Remercions au passage la charmante Claudine Brasseur d'avoir bien voulu interviewer notre amie Shakti et son balbutiant "maître" dans le contexte de cette émission remarquable, que trop d'éminences politiques voudraient voir disparaître.
Vendredi 9 septembre 2005 C'est ainsi que meurent les mangoustes.... Source : [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] | |
|