Le cas de Santino (chimpanzé)

J'ai recopié cet article pour vous le montrer, car je l'ai trouvé intéressant ! Il démontre bien que la frontière entre animaux humains et non humains n'est pas si net que ça, comme on l'air de le penser beaucoup de personnes obsédée par l'anthropocentrisme !

Santino,
ou la violence préméditée

Santino, en dépit de son nom, n’a rien d’un petit saint. C’est un chimpanzé de 31 ans, pensionnaire du zoo de Furuvik, en Suède. Comme tous les mâles de son espèce, il a de fréquents accès d’agressivité. Mais à la différence de ses semblables, il prémédite ses actions, par exemple les jets de pierres, avec un soin extrême. Et ce cas fascine les primatologues.
Tout commence il y a environ dix ans, quand du haut de son promontoire encerclé d’eau, Santino se met à projeter de gros cailloux et des morceaux de béton contre les grilles le séparant du public.
Évidemment, le personnel du zoo instaure des mesures préventives, et fait le ménage sur l’île. Stupéfaction : on trouve alors en divers recoins des « caches » où sont entreposées ses munitions : pierres et fragments de béton qu’il taille visiblement avec soin, tel un guerrier du Pléistocène.
Les munitions sont confisquées, mais c’est alors la deuxième surprise : elles refont leur apparition peu après. D’où Santino tire-t-il son arsenal de dissuasion ?
Pour le savoir, un gardien se poste à l’aube près de l’enclos. Il découvre le pot aux roses : Santino se lève de bon matin pour fourbir ses armes. Il ramasse des pierres dans le lit du cours d’eau, et les prépare avec patience et méticuleusement.
Car il se passe généralement sept heures entre les préparatifs du singe et ses accès de colère. C’est là toute la saveur de l’affaire : lorsqu’il prépare ses projectiles, Santino est calme et méthodique, à mille lieues de l’animal dont l’échine se hérissera sous l’effet de la colère, peu après midi. C’est l’affluence du public qui le met dans tous ses états : il sait alors qu’il dispose, dans l’une de ses multiples caches, des arguments dissuasifs pour éloigner les badauds.
Ce qui surprend le plus les zoologues, c’est qu’un animal puisse anticiper un état émotionnel plusieurs heures à l’avance, alors qu’il se trouve dans un état émotionnel complètement différent. Santino conçoit et prévoit sa colère, alors qu’il est calme et posé. On pensait jusqu’alors cette capacité de planification réservée à l’homme. Mais ce singe atypique force à revoir ces considérations. La violence préméditée n’est pas l’apanage de l’homme, ni la capacité d’identifier ses émotions et de les anticiper.
Selon les primatologues, la scène qui se déroule dans l’enclos du zoo de Furuvik pourrait avoir eu lieu il y a trois ou quatre millions d’années, lorsque de lointains ancêtres de l’homme ont commencé à réfléchir à la façon de tuer des animaux avec des armes préparées à cet effet, en prévision de leurs besoins ultérieurs. Autrement dit, à faire preuve de violence intentionnellement et planifiée, orientée vers un but clairement conceptualisé.

M. Osvath, Spontaneous planning for future stone throwing bye a male chimpanzee, in Current Biology, vol. 19, p. 190, 2009. In Cerveau & Psycho, n°33, Bimestriel mai – juin 2009, p. 4.